Calebasses et réchauffement climatique

Traversée du Sénégal en dessins


Sofia Poku, étudiante en art de 24 ans, a passé trois semaines au Sénégal sur invitation d’Action de Carême. Pendant ce voyage, elle a documenté ses observations à travers des dessins, dont une sélection est présentée dans cet article. Accompagnée de l'artiste sénégalais Mahanta Fall, qui a également partagé ses impressions, Sofia a enrichi chaque image de ses commentaires. Ces derniers ont ensuite été complétés et classés par Vreni Jean-Richard, responsable du programme Sénégal.

Au Sénégal, Sofia s’est souvent déplacée en voiture, sous une chaleur écrasante.

« On roule, on roule, et le soleil semble de plus en plus grand, comme si on allait brûler. Le ciel est incroyablement lumineux, ardent. Supportable quand on a la climatisation en voiture, mais tout simplement assommant dans la rue ».

Groupes de solidarités

Lors de son voyage, elle a rendu visite à plusieurs groupes de solidarité qui collectent de l’argent dans des calebasses.

« Ce récipient traditionnel est fabriqué à partir d’une courge coupée en deux, évidée et séchée. La calebasse est une tradition culturelle et historique très ancienne au Sénégal. On aurait très bien pu utiliser un bol en plastique pour la collecte, mais cela n’aurait pas eu le même caractère. »

Les groupes de solidarité se composent principalement de femmes. Celles-ci se réunissent une fois par semaine pour échanger et récolter des fonds.

« La désinvolture de ces femmes et leur sentiment d’appartenance m’ont fascinée, tout comme leur force et leur confiance. Elles constituent l’épine dorsale du pays. Lors de ces réunions, elles évoquent leurs soucis familiaux et se réconfortent mutuellement.

Les membres de ces calebasses sont aussi hauts en couleurs et diversifiées que leurs vêtements. Jeunes ou âgées, du sud ou du nord, chrétiennes ou musulmanes : toutes se rassemblent et se soutiennent mutuellement. Je me suis tout de suite sentie à l’aise, et elles voulaient connaître mon avis, peu importe ce qui me passait par la tête. »

L’argent récolté lors des réunions atterrit discrètement sous un tissu dans la calebasse, de sorte que personne ne voit combien chacune donne.

« Parfois, les participantes n’ont pas suffisamment d’argent pour contribuer. Alors il leur suffit de jeter un caillou sous le tissu pour imiter le bruit d’une pièce. Le tissu est généralement blanc pour symboliser l’honnêteté.

J’apprécie cette attention portée à la préservation de l’intégrité de chacune. La jalousie et les accusations peuvent ainsi être facilement contournées. »

Action de Carême soutient ces groupes de solidarité dans tout le pays. Outre la protection de leurs membres et de leurs familles, ils ont un fort impact social et de promotion de la paix. Aujourd'hui, il existe plus de 2200 calebasses dans tout le Sénégal, qui assurent la sécurité de 73 000 familles. Les groupes de solidarité sont reliés par des réseaux, se soutiennent mutuellement et défendent leurs intérêts auprès des autorités.

Le regard de Mahanta sur les groupes de solidarité

Hospitalité

« Le Sénégal est un pays à majorité musulmane, où l’hospitalité joue un rôle important. Alors souvent, dès la première rencontre, nous sommes invité·e·s à prendre le thé ou à manger chez la personne. Certain·e·s hôtes se sont même montré·e·s très déçu·e·s lorsque nous devions refuser en raison de notre programme du jour.

Quand nous pouvions honorer l’invitation, les portions étaient chaque fois énormes. Quand je ne parvenais pas à finir mon poulet et le kilo de riz qui va avec, j’entendais cette phrase : “ Il faut bien manger, Sofia ! ” Ça m’arrivait au moins deux fois par jour.

Au Sénégal, les gens partagent souvent une seule et grande assiette. Cela montre à quel point les liens et l’esprit de communauté sont forts. Et bien que la faim persiste au Sénégal et que les pénuries alimentaires soient fréquentes, les repas, lorsqu'ils sont disponibles, sont copieux. Les plats, souvent à base de viande et de riz, sont servis en portions très généreuses. »

Au Sénégal, la pénurie alimentaire est cyclique en raison de l'unique saison des pluies et de la récolte annuelle. La période de pénurie, appelée « soudure », dure plusieurs mois, durant lesquels de nombreuses familles s'endettent et les prix des denrées alimentaires grimpent. Cette période coïncide également avec le pic du paludisme et le début de l'année scolaire, qui génèrent des coûts supplémentaires liés aux soins de santé et aux frais de scolarité. Face à ces défis, la calebasse apporte une solution en accordant discrètement des prêts sans intérêt aux familles en difficulté. Ces prêts sont remboursés après la récolte, lorsque les greniers sont de nouveau pleins.

Le regard de Mahanta sur l'hospitalité sénégalaise

Couleurs

« Le Sénégal est un pays très bariolé. Partout, on s’émerveille de voir autant de couleurs et de formes différentes. Dans le nord en particulier, les motifs batik sont très appréciés. »

« Les femmes aiment particulièrement les vêtements avec motifs kaléidoscopiques. Ici, le style sobre et minimaliste n’est pas du tout dans le ton. »

Les couleurs et les motifs font partie de la tradition ; les vêtements font partie de l'identité et sont très importants pour la vie sociale. De nombreux groupes ethniques fabriquent leurs propres tissus traditionnels et chaque motif de l'art textile ouest-africain a son propre nom et sa propre signification. En portant des vêtements colorés et soignés, les femmes montrent que les rencontres sont importantes pour elles. Lors de grandes manifestations, les participant·e·s s'habillent souvent avec des tissus identiques afin de souligner leur appartenance.

Le regard de Mahanta sur le monde coloré du Sénégal

Nature

« À vrai dire, je ne m’attendais pas à voir autant d’arbres et de verdure, particulièrement dans le nord aride du Sénégal. Mais j’ai aussi voyagé pendant la saison des pluies. »

« La population locale a un lien fort avec son fleuve, le « Sénégal », qui marque également la frontière avec la Mauritanie. Ses rives sont très verdoyantes. Cependant, les problèmes liés à l’eau se font chaque année ressentir davantage dans la région, notamment en raison du réchauffement climatique.

Mais tant qu’il y a le fleuve, les habitant·e·s gardent espoir et confiance en l’avenir. Car l’agriculture, et donc une part importante de l’économie, dépend intégralement de lui. »

Dans la zone sahélienne au nord du Sénégal, la verdure ne dure que quelques mois. Une fois l'herbe broutée, l'air se remplit de fines poussières et toutes les surfaces prennent une teinte brun-rouge, y compris les feuilles restantes des arbres. La sécheresse aggrave les problèmes de la société locale. Sans eau, ni l'agriculture ni l'élevage ne sont possibles. Les hommes et les grands garçons partent alors avec le bétail vers des pâturages incertains, laissant derrière eux les personnes âgées, les femmes et les jeunes enfants sans soutien. C'est pourquoi la calebasse est si importante : elle offre un filet de sécurité social à celles et ceux qui restent sur place.

Le regard de Mahanta sur l'eau et la nature

Travail

« Au Sénégal, les gens travaillent dur, sous une chaleur accablante. Cet homme laboure la terre avec son cheval par environ 45 degrés pour la préparer à de futures cultures. »

Les conditions climatiques sont particulièrement éprouvantes pour les activités agricoles. Les gens essaient d'effectuer le plus de travaux possible tôt le matin ou en fin de journée.

« Dans le nord du Sénégal, on croise régulièrement des troupeaux de vaches visiblement amaigries. Souvent, des bergers, principalement des garçons, accompagnent ces troupeaux. Ils assistent leurs pères, mais surveillent fréquemment le bétail seuls. »

« Les femmes qui restent au village accomplissent également des tâches physiquement exigeantes. Ici, l'une d'elles transporte du bois sur sa tête, nécessaire pour la cuisson des repas.

Les femmes jouent un rôle central au sein de la famille. Elles sont presque seules à s’occuper du ménage et doivent souvent exercer une activité professionnelle en parallèle, par exemple dans la vente. Elles m’ont beaucoup impressionnée. »

Les femmes portent de nombreuses responsabilités. Elles gèrent le ménage, l'éducation des enfants, la préparation des repas et la santé de toute la famille. En l'absence des hommes, elles doivent aussi couvrir toutes les dépenses à court terme.

Le regard de Mahanta sur le travail des femmes

Sécheresse

« Dans certaines parties du pays, la sécheresse persistante et la chaleur extrême créent des conditions désertiques, non propices à la vie.

C’est pourquoi, depuis la route, on voit régulièrement des vaches mortes. Les animaux souffrent beaucoup de la sécheresse. Lorsqu’une famille n'a pas les moyens d'acheter du fourrage, le bétail meurt de faim ou doit être vendu. »

Ces dernières années, le Sénégal enregistre régulièrement des records de chaleur, atteignant parfois jusqu'à 50°C dans la région du Sahel. La saison des pluies se réduit, et les précipitations deviennent plus imprévisibles. Par conséquent, la végétation capable de supporter ces conditions se raréfie.

Le regard de Mahanta sur la sécheresse au Sénégal

Chaleur et troubles gastriques

« Moi aussi, j’ai dû lutter contre la chaleur dans ma famille d’accueil. Je me souviendrai toujours de la position du croquis en haut à gauche : une fois de plus, je m’étais allongée sur le canapé du salon en quête d’un peu de fraîcheur près du climatiseur car les ventilateurs de ma chambre ne suffisaient pas.

Les enfants de la maison étaient dans le même état que moi. Les adultes leur avaient dit de ne pas me déranger, mais ils étaient tout de même entrés un par un dans le salon, à tâtons. Nous étions restés là une heure, tous ensemble, à essayer de nous rafraîchir. Un beau moment de partage. »

« À la chaleur s’étaient ajoutés des soucis d’estomac, accompagnés de fièvre et de nausées. Une vraie souffrance !

J’avais commis l’erreur de boire l’eau de la citerne dans la cour plutôt que de l’eau en bouteille achetée. L'eau de la citerne est régulièrement alimentée par de l'eau du robinet. Je pensais que ça irait, mais malheureusement, j’avais tort. J'ai eu la pire diarrhée de ma vie, et ce par une chaleur de plus de 40°C. L'Immodium était devenu mon meilleur ami. »

« J’étais allongée sur le canapé du salon, épuisée, avec la pire gastro-entérite de ma vie. Or, cette salle était aussi utilisée par les hommes pour la prière. Quand ils étaient entrés, j’avais tout de suite voulu me lever et quitter la pièce pour les laisser prier tranquillement, dans le souci de respecter la séparation des sexes. Mais mon père d’accueil avait insisté pour que je reste allongée. Aujourd’hui encore, j’aime imaginer qu’ils auraient aussi prié pour ma santé. »

Au Sénégal, il est très malaisé pour un·e hôte que son invité·e ne se sente pas bien. Il y a un sentiment de responsabilité pour son bien-être et on ne ménage pas ses efforts pour s'assurer que tout aille bien. Lors de la visite de Sofia, les hôtes ont parcouru de longues distances pour lui procurer des médicaments et des boissons. Finalement, un transport a été organisé pour la ramener en ville, où Sofia a été confiée aux soins de la coordination du programme, qui s'est occupée d'elle.

Les conditions climatiques sont très difficiles non seulement pour les Européen·ne·s, mais aussi pour les personnes qui vivent au Sahel. Les jeunes enfants et les personnes âgées souffrent particulièrement de la chaleur et en ressentent les conséquences sur leur santé.

Nos projets sont porteurs d’espoir. Merci de votre soutien !

À propos d’Action de Carême

La vision d’Action de Carême est celle d'un monde juste et sans faim. L'alimentation est un droit humain que nous défendons chaque jour. Dans 14 pays du Sud, nous améliorons la vie de millions de personnes en collaboration avec des organisations partenaires locales. Les personnes et leurs besoins sont toujours au centre de notre action.

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Impressum

Publication : Action de Carême, Suisse, 2024
Rédaction : Ralf Kaminski
Images : Sofia Poku, Mahanta Fall, Ababacar Gueye
Mise en ligne : Ralf Kaminski, Manolito Steffen